Blog[Interview]

Rencontre avec Yannick Hemeury

Gérant de Breizh Marine Expertise

Aujourd’hui, nous vous emmenons à la rencontre de Yannick Hemeury. Armateur durant 30 ans, Yannick Hemeury a démarré dans la marine marchande en 1979 et est à présent à la tête de Breizh Marine Expertise, un bureau d’études et d’ingénierie au service de la pêche.
Président du comité local des pêches de Paimpol durant 22 ans, membre de la commission nationale crustacé depuis 1989, membre du comité régionale des pêches depuis sa création en 1994, président de l’ASPTG (Association de Soutien aux Pêcheurs du Trégor Goëlo ) depuis 2005 et co-président de la CML (Commission Mer et Littoral du quartier maritime de Paimpol), Yannick Hemeury est un marin-pêcheur engagé avec une connaissance approfondie du terrain et des acteurs qui le composent.

Pouvez-vous nous présenter Breizh Marine Expertise ?

Breizh Marine Expertise c’est avant tout une philosophie de dire : « Comment fait-on pour avancer dans le temps en subissant le moins de contraintes des énergies fossiles ? »

La société Breizh Marine Expertise participe à de nombreux projets notamment :

  • Au développement de l’aquaculuture multi trophique intégrée.
  • Au développement de la culture des algues dans le Tregor.
  • Au site d’essais Paimpol-Bréhat en mer pour le développement de la filière hydrolienne soutenu par la région Bretagne.

Comment intervenez-vous sur le projet de Ailes Marines ?

Si on revient à la genèse du projet, quand on nous l’a présenté en août 2009, à Rennes, j’étais vice-président du comité régional des pêches et président du comité local de Paimpol. Il y avait un projet de développement d’énergies marines, d’éoliennes en mer dans le Nord des Côtes-d’Armor.

Nous avons participé aux réunions et pris part au choix des zones de moindre contrainte et à la définition de l’alignement des éoliennes.

Il y a quelques temps, la société Ailes Marines m’a proposé de réaliser une étude d’actualisation du bilan de l’activité de pêche dans la zone du parc éolien. Une précédente étude ayant été réalisée en 2014-2015 en collaboration avec le CDPMEM22 dans le cadre des demandes d’autorisations administratives du projet. Aussi, cette mission a pour but de déterminer qui est réellement impacté par l’implantation du parc. Sur 280 bateaux, 22 ou 23 bateaux, soit 10% au final seront impactés à divers degrés.

La discussion avec les pêcheurs de la baie de Saint-Brieuc sur ce sujet s’est très bien passée. Avec moi ils sont transparents, il n’y a pas de secrets, on parle le même langage, c’est plus simple.

Ils m’appellent, je monte sur les bateaux et je regarde avec eux les captures d’écran, les tables traçantes, la carte des poses (casiers et/ou filets)…. Les entretiens durent 1h à 1h30, je fais beaucoup de pédagogie.

J’ai créé un dossier qui facilite les échanges avec les pêcheurs dans lequel il est mentionné la période impactée, le mois, la saison, quand est-ce qu’ils pêchent, la périodicité, le nombre de jour, les espèces qu’ils pêchent, leur chiffre d’affaires… Ces échanges me permettent d’avoir les données réelles sur leur impact.

Je fais ensuite la mise en relation avec le RICEP qui est un regroupement d’experts de la filière pêche qui travaille notamment sur ce sujet de l’impact sur l’activité de pêche. Ces experts valideront les éléments apportés pour prouver le préjudice. Une convention pourra par la suite être signée entre le pêcheur impacté et Ailes Marines pour procéder au dédommagement.

« Le but est d’arriver à dépassionner ces oppositions pour réussir à retrouver un climat de confiance afin que l’aventure continue avec les deux parties. »

La confiance et l’expérience que j’ai sur le terrain permet d’avoir un dialogue, une relation privilégiée avec les pêcheurs que j’ai côtoyés quand je naviguais.

Le but est d’arriver à dépassionner ces oppositions pour réussir à retrouver un climat de confiance afin que l’aventure continue avec les deux parties car la pêche va perdurer malgré le parc, peut-être différemment sur certains métiers, mais aujourd’hui, il faut être acteur et travailler ensemble pour avancer dans le meilleur des mondes possibles.

Pourquoi avoir accepté la mission ?

De part mon rôle politique de représentant professionnel depuis plus de 30 ans, j’ai été intégré dans ce projet, j’y étais favorable car on ne peut pas contrer le gouvernement et il fallait trouver les meilleures compensations possibles pour que les pêcheurs puissent continuer à travailler et évoluer. Je suis résolument optimiste, quand ça va pas, ça va toujours !

Notre vie ne s’arrête pas à la période de 30 ans. Avant d’être des pêcheurs on est aussi des citoyens ! On a un avant et on a un après, qu’est-ce qu’on fait tous les matins ? On allume la lumière. Et le contexte international et l’actualité donne raison. Est-ce qu’on peut s’émanciper des énergies renouvelables aujourd’hui ? Non. Est-ce qu’on peut s’émanciper du nucléaire ? Non.
Je ne suis pas pour le nucléaire mais il y aussi des réflexions à avoir en ce sens.

« Aujourd’hui il y a un mix d’énergies renouvelables, du photovoltaïque, du nucléaire… le mix énergétique, c’est le bien être de vivre. »

Je dis souvent aux marins : « Nous ne sommes pas que marin pêcheur, nous sommes aussi marin ! » Il y n’y a pas que la pêche, il y aussi la marine marchande, la coquille Saint-Jacques, les ferries ou encore l’offshore à présent… Certains bateaux vont sans doute devoir se redéployer sur d’autres zones de pêche. Quelques bateaux vont être impactés, mais demain, les marins peuvent trouver du travail sur les nouveaux métiers qui vont se développer avec le parc éolien et ça, c’est une force !

Quelles sont vos conclusions suite à vos premiers échanges avec les artisans pêcheurs ?

J’ai rencontré à peu près 20 pêcheurs qui ont signé et seulement 3 n’ont pas signé. J’ai trouvé les échanges constructifs avec des pêcheurs intéressés, des personnes plus ou moins impactées mais surtout contents d’avoir quelqu’un avec qui ils peuvent dialoguer et répondre à leurs questions, car ils reconnaissent avoir du mal à avoir des informations.

Je suis super content de travailler pour Ailes Marines et je prends du plaisir dans cette mission ! Ce n’est pas qu’un simple job, je pense que ça contribue à faire évoluer le projet.

Aurore Paris

Quel est votre avis sur le développement des EMR en Bretagne ?

Le développement des EMR en Bretagne doit être dépassionné, il faut faire évoluer les postures des uns et des autres.

Aujourd’hui, le monde change, je qualifie les EMR d’aujourd’hui comme la plaisance des années 80. Il y a 40 ans, la mer était aux marins pêcheurs. Quand la plaisance a commencé à émerger, il y a eu une nouvelle concurrence sur l’espace que pratiquaient les pêcheurs et les plaisanciers ont pris leur place.

Quarante ans après, la plaisance fait partie du plan d’eau, ce sont des acteurs, des citoyens qui y ont aussi accès. C’est l’évolution de la société, la création d’emplois, le développement d’activités nautiques, de loisirs, Tabarly qui traverse l’atlantique… et des pêcheurs qui sont aussi devenus plaisanciers.

Il faut de la transition énergétique, et bien on va devoir vivre avec, on va occuper le plan d’eau. On a eu un accès privilégié en tant que pêcheurs mais nous ne sommes pas les seuls à avoir le droit d’accéder à ce privilège.