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Résumé des travaux récents sur l’impact des bruits

Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin

Dans le cadre des études d’impact régulièrement menées par Ailes Marines et par plusieurs organismes scientifiques spécialisés, une nouvelle analyse a été menée par le Laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin, afin d’évaluer l’impact des bruits associés à la phase de construction d’éolienne offshore chez la Coquille Saint-Jacques et la Praire.

Comportement des adultes de coquille Saint-Jacques :

Il convient de noter avant toute chose que nous n’avons jamais révélé d’effet létal des bruits de battage de pieux ou de forage chez les adultes de coquille Saint-Jacques même si les expérimentations ont duré jusqu’à deux mois d’exposition aux bruits anthropiques (> 180 dB).

Le bureau d’étude SOMME a coordonné des recherches dans le cadre d’une collaboration nouvelle entre organismes (MHNN, CNRS, INP Grenoble, WHOI, Ecloserie du Tinduff) sur le développement d’une méthode impliquant des capteurs de position et de mouvements que l’animal embarque sur ses valves. Ces capteurs permettent de décrire par traitement du signal (mathématiques appliquées):

  • l’audiogramme d’une coquille Saint-Jacques (In vitro, Tinduff et Océnopolis). Elle réagit à des sons dont la fréquence est comprise entre 1 et 800 Hz max. La coquille Saint-Jacques entend par une structure qui est assimilable à une oreille ;
  • le comportement de cet animal lorsque l’on parle de mouvements valvaires, sauts, nages, et rotations. La coquille Saint-Jacques est un animal nocturne (In situ), l’ouverture des valves des CSJ est maximale la nuit (In Vitro et In situ). Les mouvements sont très fréquents en fin de nuit.

En baie de Saint-Brieuc, une étude pionnière sur le comportement des coquilles Saint Jacques réalisée en 2021 durant des travaux de forage (positionnement de bateau, forage proprement dit) a ainsi permis de (i) valider une méthode de suivi innovante ; (ii) d’acquérir de nouvelles connaissances sur la biologie de cette espèce (comportement) ; (iii) de lever les principaux doutes quant aux impacts du forage sur le comportement des coquilles Saint Jacques (pas de mortalité, pas d’observation de modification du comportement révélant un impact réel). Les résultats montrent une légère modification de comportement á l’arrivée du bateau de forage (installation, Jack-up). Cette modification comportementale n’est plus notée en phase de forage. Il serait utile de poursuivre ces études pour consolider ces premières informations.

Aujourd’hui, reste à démontrer que vibrations du sédiment et mouvements particulaires liés aux sons des bateaux (long terme) , ou aux battages et forages (plus transitoire) n’ont pas d’impact sur le comportement des coquilles Saint-Jacques.

Création d’un dispositif expérimental original, le Larvosonic. Ecologie larvaire

Les bivalves marins étudiés ici naissent en pleine eau. Ils ont d’abord une vie larvaire pélagique puis se métamorphosent pour retrouver le fond et ne plus le quitter.
Afin d’estimer les impacts de bruits de battage et de forage associés à la phase d’installation des parcs éoliens en mer sur la biologie et l’écologie des larves de deux espèces de bivalves (la coquille Saint Jacques et la praire) il nous fallait d’abord imaginer puis construire un système expérimental adéquat. Ce travail a été fait. Nous avons mené ensuite dans ce système pionnier des expériences bioacoustiques dans 8 bassins autorisant un contrôle fin des paramètres physiques (température, salinité, bruit ambiant, turbidité) et biologiques (prédation, compétition) du milieu. L’utilisation de bassins permet donc des observations impossibles dans le milieu naturel mais cela représente aussi un défi technique en raison des problèmes de réverbération des sons et de résonnance des cuves. Nous avons donc développé et testé au Tinduff (Ecloserie de CSJ) une cuve permettant à la fois l’élevage larvaire et la diffusion de sons connus non déformés par le basin lui-même. Le système a été baptisé le Larvosonic (en publication).

Remarque 1 :
Il convient de noter ici que la métamorphose est vraiment un moment charnière du développement d’un mollusque puisqu’il qui marque le début de la vie benthique. La science démontre que le bon déroulement de cette phase détermine la suite du cycle de vie. Le processus de fixation qui suit la métamorphose englobe des comportements de prospection influencés par de nombreux facteurs environnementaux qui interviennent in fine dans la sélection de l’habitat benthique. Si elle ne rencontre pas les conditions optimales, qui sont hautement variables selon l’espèce, une larve est capable de prolonger la durée de sa phase larvaire. Ce retard de métamorphose est un pari risqué (prédation accrue, dispersion sur des fonds impropices et arrêt de l’alimentation). Réduire ce délai c’est aussi réduire la dispersion larvaire.

Remarque 2 :
Les résultats présentés ici concernent les réponses de larves et post-larves à des bruits imposés en enceintes de plexiglass. Au cours de ces expérimentations tout se passe comme si les larves de coquilles ou de praires restaient à une distance fixe de la source sonore (battage ou forage). Evidemment, dans la nature et notamment en baie de Saint-Brieuc, les courants de marées forts déplacent continuellement des larves pélagiques qui ne peuvent rester à une distance constante d’une source sonore lors de travaux en points fixes. Le « scénario » imaginé ici n’est donc pas réaliste et maximisent les impacts potentiels des bruits de construction des parc éoliens sur les plus jeunes stades de CSJ et de praire.

Remarque 3 :
Les résultats présentés ici concernent les réponses de larves et post-larves à des bruits anthropiques en excluant les bruits des bateaux (pêche ou travaux en mer) reconnus par ailleurs comme impactant les invertébrés.

Résultats principaux concernant les larves/post-larves Coquille St Jacques (CSJ) :

Point 1 : Impacts sur les larves et post-larves.
La réponse des jeunes stades de CSJ aux bruits anthropiques dépend à la fois du stade de développement et du type de son émis, les plus jeunes larves étant globalement plus résistantes et les larves pédivéligères (aptes à se métamorphoser) sont les plus sensibles.

Il convient de noter une nouvelle fois que les surmortalités détectées (cf ci-dessous) sont très faibles (1,5 – 4 %) puisque les taux de survie sont toujours supérieurs à 96 % quelle que soit l’expérimentation considérée pour une exposition de quatre jours.

a. Au stade pédivéligère, nous montrons que les bruits de forage augmentent la mortalité (qui reste inférieure à 4 %), retardent la métamorphose et diminuent leurs capacités d’alimentation (taux de filtration). A l’inverse, ceux de battage de pieu n’ont aucun effet détectable sur la mortalité ni sur l’alimentation mais accélèrent la métamorphose. Nous suggérons ainsi que les bruits de forage, dans nos conditions d’expérimentation, ont un effet négatif à court-terme sur ces stades larvaires.

b. Au stade post-larve (très jeune coquille posée sur le fond) , aucune surmortalité n’est détectée selon la nature et le niveau des sons (comme chez les adultes !) , et nous montrons que les sons de forage augmentent le taux de croissance et réduisent la concentration en contenus lipidiques (énergie) alors que ceux de battage de pieux sont sans effets observables.

En outre, l’inhibition de la métamorphose par le forage va de pair avec une diminution des réserves énergétiques, dans le sens d’un prolongement de la phase pélagique.

A l’inverse, le battage accélère la métamorphose de sorte que les larves de coquilles Saint-Jacques se fixent avec des réserves énergétiques qui n’ont pas encore diminué.
Les bruits anthropiques imposés durant plusieurs jours modulent donc la dynamique de métamorphose et ces effets sont contrastés selon la nature des sons ce qui traduirait que les larves réagissent différemment, selon leur développement, aux sons continus et impulsifs ou aux différences dans la composition fréquentielle des sons émis. Ce travail de recherche serait à poursuivre.

Remarque 4 :
Des études suggèrent que le paysage acoustique marin pourrait apporter des informations sur l’environnement qu’une larve doit choisir ou fuir avant métamorphose. Nous souhaitons ici souligner que la stimulation de la métamorphose par un son de battage pourrait ne pas être positive au stade pédivéligère (sens écologique) si le son est émis dans un habitat défavorable aux jeunes bivalves. A l’inverse, si un son est interprété par une larve comme l’indice d’un environnement mal adapté, alors la larve pourrait repousser sa métamorphose, la conduisant dans un état ‘désespéré’ à se fixer au hasard plus tard plus loin.

Point 2 : Effets Maternels.
Nous démontrons pour la première fois qu’en phase de reproduction, l’exposition d’adultes à des bruits de battage de pieu (pendant toute la période de la gamétogénèse) induit des effets maternels complexes sur la progéniture des CSJ. Bien que leur exposition à des bruits de battage de pieux n’induise pas de mortalité aux niveaux sonores testés, ni de modification du contenu lipidique du muscle de la coquille Saint-Jacques adulte, ni celle de sa croissance, nous avons observé beaucoup plus subtilement une réduction de la taille de la gonade avec le niveau sonore croissant et en parallèle moins d’œufs atrésiques (processus normal de « digestion » des œufs pour utilisation des réserves) et un meilleur taux d’éclosion. De façon très intéressante, les larves résultantes possèdent de meilleures performances (croissance, métamorphose) aux stades pré- métamorphiques. Au stade post-larve toutefois, ces performances sont identiques entre les différents lots.

L’exposition des parents au son de battage de pieux modifie ainsi la sensibilité de la descendance à ce même son, sans clairement contribuer à une réponse plus ou moins bien adaptée. À suivre…

Résultats principaux concernant les larves/post-larves de Venus verrucosa (Praire) :

Remarque 5 :
L’état physiologique des larves d’invertébrés marins repose largement sur leur contenu lipidique (réserve d’énergie). Ainsi le métabolisme énergétique module de nombreux paramètres de la vie d’une larve, que ce soit sa survie, son comportement ou sa réponse à des facteurs de stress. L’état physiologique, décrit par le contenu lipidique, fluctue principalement en réponse aux deux facteurs que sont l’alimentation et la température.

En utilisant deux températures d’élevage distinctes (15 et 20°C) qui traduisent des périodes printanières (15°C) ou max. estivales (20°C) en Manche, des lots de larves physiologiquement différentes (contenus en lipides contrastés) ont été produits.

  • Au stade véligère (à ce stade une large peut manger), seul le bruit de battage de pieux augmente la rétention des acides gras essentiels dans les membranes lipidiques (dans les cellules !) sans interaction avec la température alors que le forage n’a aucun impact.
  • Au stade pédivéligère (juste avant métamorphose, alimentation sur le déclin), les bruits de battage de pieux et de forage réduisent tous deux la mortalité et la fixation larvaire sans modifier la dynamique de métamorphose. De plus, ils diminuent la rétention des acides gras essentiels quand le métabolisme est élevé (20°C). Il semble alors que l’augmentation de la température amplifie l’effet du son, qui ne s’exprime pas à 15°C. Les différences avec les résultats obtenus sur la CSJ traduisent bien que les réponses aux bruits anthropiques soient différentes d’une espèce à l’autre. Cette variation entre les espèces dans la façon de répondre aux variations de leur environnement est une quasi- constance en écologie marine.
 

Il semble alors que l’augmentation de la température amplifie l’effet du son. Cet effet de l’impact du bruit ne peut s’exprimer à 15°C. Il en est probablement de même sous cette température (la saison semble donc importante). Les réserves énergétiques, saisons dépendantes, sont un élément d’explication bien évidemment en jeu. On remarquera également que la température, contrairement au son, module tous les critères de performance d’une larve de praire, soulignant une fois encore l’importance du facteur thermique dans le développement des larves de bivalves.

Nous démontrons ici que les effets conjoints de la température et des sons anthropiques dépendent du stade de développement et modulent les performances des larves au stade pédivéligère, agissant sur la dynamique de la métamorphose. A ce stade, nos résultats démontrent des interactions entre température et sons et cela indiquent que la réponse au bruit est liée à l’état physiologique des larves et n’a donc pas de lien exclusif avec le bruit seul.

Remarque 6 :
Nous souhaitons aussi souligner que la stimulation de la métamorphose par un son de battage peut ne pas être positive au stade pédivéligère. En effet si le son est émis dans un habitat défavorable des erreurs dans le choix du lieu de fixation auront des conséquences graves sur son l’avenir.

Mais à l’inverse, si un son est interprété comme l’indice d’un environnement mal adapté, alors la larve pourrait repousser sa métamorphose, la conduisant dans un état « désespéré ». Mais paradoxalement nos résultats montrent que chez la coquille comme chez la moule (autre étude) un bruit anthropique peu stimuler la métamorphose à l’endroit où la pollution sonore est émise et donc potentiellement stimuler le pré-recrutement à la source de la pollution (plus de bivalve à la source du bruit !).